А propos de cette йdition йlectronique 24 глава




 

Et moi-mкme ne sentais-je pas cette diffйrence due а la puissante densitй de l’eau, quand, malgrй mes lourds vкtements, ma tкte de cuivre, mes semelles de mйtal, je m’йlevais sur des pentes d’une impraticable raideur, les franchissant pour ainsi dire avec la lйgиretй d’un isard ou d’un chamois!

 

Au rйcit que je fais de cette excursion sous les eaux, je sens bien que je ne pourrai кtre vraisemblable! Je suis l’historien des choses d’apparence impossible qui sont pourtant rйelles, incontestables. Je n’ai point rкvй. J’ai vu et senti!

 

Deux heures aprиs avoir quittй le Nautilus, nous avions franchi la ligne des arbres, et а cent pieds au-dessus de nos tкtes se dressait le pic de la montagne dont la projection faisait ombre sur l’йclatante irradiation du versant opposй. Quelques arbrisseaux pйtrifiйs couraient за et lа en zigzags grimaзants. Les poissons se levaient en masse sous nos pas comme des oiseaux surpris dans les hautes herbes. La masse rocheuse йtait creusйe d’impйnйtrables anfractuositйs, de grottes profondes, d’insondables trous, au fond desquels j’entendais remuer des choses formidables. Le sang me refluait jusqu’au cœur, quand j’apercevais une antenne йnorme qui me barrait la route, ou quelque pince effrayante se refermant avec bruit dans l’ombre des cavitйs! Des milliers de points lumineux brillaient au milieu des tйnиbres. C’йtaient les yeux de crustacйs gigantesques, tapis dans leur taniиre, des homards gйants se redressant comme des hallebardiers et remuant leurs pattes avec un cliquetis de ferraille, des crabes titanesques, braquйs comme des canons sur leurs affыts, et des poulpes effroyables entrelaзant leurs tentacules comme une broussaille vivante de serpents.

 

Quel йtait ce monde exorbitant que je ne connaissais pas encore? А quel ordre appartenaient ces articulйs auxquels le roc formait comme une seconde carapace? Oщ la nature avait-elle trouvй le secret de leur existence vйgйtative, et depuis combien de siиcles vivaient-ils ainsi dans les derniиres couches de l’Ocйan?

 


Des homards gйants, des crabes titanesques.

 

Mais je ne pouvais m’arrкter. Le capitaine Nemo, familiarisй avec ces terribles animaux, n’y prenait plus garde. Nous йtions arrivйs а un premier plateau, ou d’autres surprises m’attendaient encore. Lа se dessinaient de pittoresques ruines, qui trahissaient la main de l’homme, et non plus celle du Crйateur. C’йtaient de vastes amoncellements de pierres oщ l’on distinguait de vagues formes de chвteaux, de temples, revкtus d’un monde de zoophytes en fleurs, et auxquels, au lieu de lierre, les algues et les fucus faisaient un йpais manteau vйgйtal.

 

Mais qu’йtait donc cette portion du globe engloutie par les cataclysmes? Qui avait disposй ces roches et ces pierres comme des dolmens des temps antй-historiques? Oщ йtais-je, oщ m’avait entraоnй la fantaisie du capitaine Nemo?

 

J’aurais voulu l’interroger. Ne le pouvant, je l’arrкtai. Je saisis son bras. Mais lui, secouant la tкte, et me montrant le dernier sommet de la montagne, sembla me dire:

 

«Viens! viens encore! viens toujours! »

 

Je le suivis dans un dernier йlan, et en quelques minutes, j’eus gravi le pic qui dominait d’une dizaine de mиtres toute cette masse rocheuse.

 

Je regardai ce cфtй que nous venions de franchir. La montagne ne s’йlevait que de sept а huit cents pieds au-dessus de la plaine; mais de son versant opposй, elle dominait d’une hauteur double le fond en contre-bas de cette portion de l’Atlantique. Mes regards s’йtendaient au loin et embrassaient un vaste espace йclairй par une fulguration violente. En effet, c’йtait un volcan que cette montagne. А cinquante pieds au-dessous du pic, au milieu d’une pluie de pierres et de scories, un large cratиre vomissait des torrents de lave, qui se dispersaient en cascade de feu au sein de la masse liquide. Ainsi posй, ce volcan, comme un immense flambeau, йclairait la plaine infйrieure jusqu’aux derniиres limites de l’horizon.

 


Lа, sous mes yeux, apparaissait une ville dйtruite.

 

J’ai dit que le cratиre sous-marin rejetait des laves, mais non des flammes. Il faut aux flammes l’oxygиne de l’air, et elles ne sauraient se dйvelopper sous les eaux; mais des coulйes de lave, qui ont en elles le principe de leur incandescence, peuvent se porter au rouge blanc, lutter victorieusement contre l’йlйment liquide et se vaporiser а son contact. De rapides courants entraоnaient tous ces gaz en diffusion, et les torrents laviques glissaient jusqu’au bas de la montagne, comme les dйjections du Vйsuve sur un autre Torre del Greco.

 

En effet, lа, sous mes yeux, ruinйe, abоmйe, jetйe bas, apparaissait une ville dйtruite, ses toits effondrйs, ses temples abattus, ses arcs disloquйs, ses colonnes gisant а terre, oщ l’on sentait encore les solides proportions d’une sorte d’architecture toscane; plus loin, quelques restes d’un gigantesque aqueduc; ici l’exhaussement empвtй d’une acropole, avec les formes flottantes d’un Parthйnon; lа, des vestiges de quai, comme si quelque antique port eыt abritй jadis sur les bords d’un ocйan disparu les vaisseaux marchands et les trirиmes de guerre; plus loin encore, de longues lignes de murailles йcroulйes, de larges rues dйsertes, toute une Pompйi enfouie sous les eaux, que le capitaine Nemo ressuscitait а mes regards!

 

Oщ йtais-je? Oщ йtais-je? Je voulais le savoir а tout prix, je voulais parler, je voulais arracher la sphиre de cuivre qui emprisonnait ma tкte.

 

Mais le capitaine Nemo vint а moi et m’arrкta d’un geste. Puis, ramassant un morceau de pierre crayeuse, il s’avanзa vers un roc de basalte noire et traзa ce seul mot:

 

ATLANTIDE

 

Quel йclair traversa mon esprit! L’Atlantide, l’ancienne Mйropide de Thйopompe, l’Atlantide de Platon, ce continent niй par Origиne, Porphyre, Jamblique, D’Anville, Malte-Brun, Humboldt, qui mettaient sa disparition au compte des rйcits lйgendaires, admis par Possidonius, Pline, Ammien-Marcellin, Tertullien, Engel, Sherer, Tournefort, Buffon, d’Avezac, je l’avais lа sous les yeux, portant encore les irrйcusables tйmoignages de sa catastrophe! C’йtait donc cette rйgion engloutie qui existait en dehors de l’Europe, de l’Asie, de la Libye, au-delа des colonnes d’Hercule, oщ vivait ce peuple puissant des Atlantes, contre lequel se firent les premiиres guerres de l’ancienne Grиce!

 

L’historien qui a consignй dans ses йcrits les hauts faits de ces temps hйroпques, c’est Platon lui-mкme. Son dialogue de Timйe et de Critias a йtй, pour ainsi dire, tracй sous l’inspiration de Solon, poиte et lйgislateur.

 

Un jour, Solon s’entretenait avec quelques sages vieillards de Saпs, ville dйjа vieille de huit cents ans, ainsi que le tйmoignaient ses annales gravйes sur le mur sacrй de ses temples. L’un de ces vieillards raconta l’histoire d’une autre ville plus ancienne de mille ans. Cette premiиre citй athйnienne, вgйe de neuf cents siиcles, avait йtй envahie et en partie dйtruite par les Atlantes. Ces Atlantes, disait-il, occupaient un continent immense plus grand que l’Afrique et l’Asie rйunies, qui couvrait une surface comprise du douziиme degrй de latitude au quarantiиme degrй nord. Leur domination s’йtendait mкme а l’Йgypte. Ils voulurent l’imposer jusqu’en Grиce, mais ils durent se retirer devant l’indomptable rйsistance des Hellиnes. Des siиcles s’йcoulиrent. Un cataclysme se produisit, inondations, tremblements de terre. Une nuit et un jour suffirent а l’anйantissement de cette Atlantide dont les plus hauts sommets, Madиre, les Aзores, les Canaries, les оles du cap Vert, йmergent encore.

 

Tels йtaient ces souvenirs historiques que l’inscription du capitaine Nemo faisait palpiter dans mon esprit. Ainsi donc, conduit par la plus йtrange destinйe, je foulais du pied l’une des montagnes de ce continent! Je touchais de la main ces ruines mille fois sйculaires et contemporaines des йpoques gйologiques! Je marchais lа mкme oщ avaient marchй les contemporains du premier homme! J’йcrasais sous mes lourdes semelles ces squelettes d’animaux des temps fabuleux, que ces arbres, maintenant minйralisйs, couvraient autrefois de leur ombre!

 

Ah! pourquoi le temps me manquait-il! J’aurais voulu descendre les pentes abruptes de cette montagne, parcourir en entier ce continent immense qui sans doute reliait l’Afrique а l’Amйrique, et visiter ces grandes citйs antйdiluviennes. Lа, peut-кtre, sous mes regards, s’йtendaient Makhimos, la guerriиre, Eusebиs, la pieuse, dont les gigantesques habitants vivaient des siиcles entiers, et auxquels la force ne manquait pas pour entasser ces blocs qui rйsistaient encore а l’action des eaux. Un jour peut-кtre, quelque phйnomиne йruptif les ramиnera а la surface des flots, ces ruines englouties! On a signalй de nombreux volcans sous-marins dans cette portion de l’Ocйan, et bien des navires ont senti des secousses extraordinaires en passant sur ces fonds tourmentйs. Les uns ont entendu des bruits sourds qui annonзaient la lutte profonde des йlйments; les autres ont recueilli des cendres volcaniques projetйes hors de la mer. Tout ce sol jusqu’а l’Йquateur est encore travaillй par les forces plutoniennes. Et qui sait si, dans une йpoque йloignйe, accrus par les dйjections volcaniques et par les couches successives de laves, des sommets de montagnes ignivomes n’apparaоtront pas а la surface de l’Atlantique!

 

Pendant que je rкvais ainsi, tandis que je cherchais а fixer dans mon souvenir tous les dйtails de ce paysage grandiose, le capitaine Nemo, accoudй sur une stиle moussue, demeurait immobile et comme pйtrifiй dans une muette extase. Songeait-il а ces gйnйrations disparues et leur demandait-il le secret de la destinйe humaine? Йtait-ce а cette place que cet homme йtrange venait se retremper dans les souvenirs de l’histoire, et revivre de cette vie antique, lui qui ne voulait pas de la vie moderne? Que n’aurais-je donnй pour connaоtre ses pensйes, pour les partager, pour les comprendre!

 

Nous restвmes а cette place pendant une heure entiиre, contemplant la vaste plaine sous l’йclat des laves qui prenaient parfois une intensitй surprenante. Les bouillonnements intйrieurs faisaient courir de rapides frissonnements sur l’йcorce de la montagne. Des bruits profonds, nettement transmis par ce milieu liquide, se rйpercutaient avec une majestueuse ampleur.

 

En ce moment, la lune apparut un instant а travers la masse des eaux et jeta quelques pвles rayons sur le continent englouti. Ce ne fut qu’une lueur, mais d’un indescriptible effet. Le capitaine se leva, jeta un dernier regard а cette immense plaine; puis de la main il me fit signe de le suivre.

 

Nous descendоmes rapidement la montagne. La forкt minйrale une fois dйpassйe, j’aperзus le fanal du Nautilus qui brillait comme une йtoile. Le capitaine marcha droit а lui, et nous йtions rentrйs а bord au moment oщ les premiиres teintes de l’aube blanchissaient la surface de l’Ocйan.

 

X

LES HOUILLИRES SOUS-MARINES

 

Le lendemain, 20 fйvrier, je me rйveillais fort tard. Les fatigues de la nuit avaient prolongй mon sommeil jusqu’а onze heures. Je m’habillai promptement. J’avais hвte de connaоtre la direction du Nautilus. Les instruments m’indiquиrent qu’il courait toujours vers le sud avec une vitesse de vingt milles а l’heure par une profondeur de cent mиtres.

 

Conseil entra. Je lui racontai notre excursion nocturne, et, les panneaux йtant ouverts, il put encore entrevoir une partie de ce continent submergй.

 

En effet, le Nautilus rasait а dix mиtres du sol seulement la plaine de l’Atlantide. Il filait comme un ballon emportй par le vent au-dessus des prairies terrestres; mais il serait plus vrai de dire que nous йtions dans ce salon comme dans le wagon d’un train express. Les premiers plans qui passaient devant nos yeux, c’йtaient des rocs dйcoupйs fantastiquement, des forкts d’arbres passйs du rиgne vйgйtal au rиgne animal[8], et dont l’immobile silhouette grimaзait sous les flots. C’йtaient aussi des masses pierreuses enfouies sous des tapis d’axidies et d’anйmones, hйrissйes de longues hydrophytes verticales, puis des blocs de laves йtrangement contournйs qui attestaient toute la fureur des expansions plutoniennes.

 

Tandis que ces sites bizarres resplendissaient sous nos feux йlectriques, je racontais а Conseil l’histoire de ces Atlantes, qui, au point de vue purement imaginaire, inspirиrent а Bailly tant de pages charmantes. Je lui disais les guerres de ces peuples hйroпques. Je discutais la question de l’Atlantide en homme qui ne peut plus douter. Mais Conseil, distrait, m’йcoutait peu, et son indiffйrence а traiter ce point historique me fut bientфt expliquйe.

 

En effet, de nombreux poissons attiraient ses regards, et quand passaient des poissons, Conseil, emportй dans les abоmes de la classification, sortait du monde rйel. Dans ce cas, je n’avais plus qu’а le suivre et а reprendre avec lui nos йtudes ichtyologiques.

 

Du reste, ces poissons de l’Atlantique ne diffйraient pas sensiblement de ceux que nous avions observйs jusqu’ici. C’йtaient des raies d’une taille gigantesque, longues de cinq mиtres et douйes d’une grande force musculaire qui leur permet de s’йlancer au-dessus des flots, des squales d’espиces diverses, entre autres, un glauque de quinze pieds, а dents triangulaires et aiguлs, que sa transparence rendait presque invisible au milieu des eaux, des sagres bruns, des humantins en forme de prismes et cuirassйs d’une peau tuberculeuse, des esturgeons semblables а leurs congйnиres de la Mйditerranйe, des syngnathes-trompettes, longs d’un pied et demi, jaune-brun, pourvus de petites nageoires grises, sans dents ni langue, et qui dйfilaient comme de fins et souples serpents.

 

Parmi les poissons osseux, Conseil nota des makaпras noirвtres, longs de trois mиtres et armйs а leur mвchoire supйrieure d’une йpйe perзante, des vives, aux couleurs animйes, connues du temps d’Aristote sous le nom de dragons marins et que les aiguillons de leur dorsale rendent trиs-dangereux а saisir, puis, des coryphиmes, au dos brun rayй de petites raies bleues et encadrй dans une bordure d’or, de belles dorades, des chrysostones-lune, sortes de disques а reflets d’azur, qui, йclairйs en dessus par les rayons solaires, formaient comme des taches d’argent, enfin des xyphias-espadons, longs de huit mиtres, marchant par troupes, portant des nageoires jaunвtres taillйes en faux et de longs glaives de six pieds, intrйpides animaux, plutфt herbivores que piscivores, qui obйissaient au moindre signe de leurs femelles comme des maris bien stylйs.

 

Mais tout en observant ces divers йchantillons de la faune marine, je ne laissais pas d’examiner les longues plaines de l’Atlantide. Parfois, de capricieux accidents du sol obligeaient le Nautilus а ralentir sa vitesse, et il se glissait alors avec l’adresse d’un cйtacй dans d’йtroits йtranglements de collines. Si ce labyrinthe devenait inextricable, l’appareil s’йlevait alors comme un aйrostat, et l’obstacle franchi, il reprenait sa course rapide а quelques mиtres au-dessus du fond. Admirable et charmante navigation, qui rappelait les manœuvres d’une promenade aйrostatique, avec cette diffйrence toutefois que le Nautilus obйissait passivement а la main de son timonier.

 

Vers quatre heures du soir, le terrain, gйnйralement composй d’une vase йpaisse et entremкlйe de branches minйralisйes, se modifia peu а peu, il devint plus rocailleux et parut semй de conglomйrats, de tufs basaltiques, avec quelques semis de laves et d’obsidiennes sulfureuses. Je pensai que la rйgion des montagnes allait bientфt succйder aux longues plaines, et, en effet, dans certaines йvolutions du Nautilus, j’aperзus l’horizon mйridional barrй par une haute muraille qui semblait fermer toute issue. Son sommet dйpassait йvidemment le niveau de l’Ocйan. Ce devait кtre un continent, ou tout au moins une оle, soit une des Canaries, soit une des оles du cap Vert. Le point n’ayant pas йtй fait, – а dessein peut-кtre, – j’ignorais notre position. En tout cas, une telle muraille me parut marquer la fin de cette Atlantide, dont nous n’avions parcouru, en somme, qu’une minime portion.

 

La nuit n’interrompit pas mes observations. J’йtais restй seul. Conseil avait regagnй sa cabine. Le Nautilus, ralentissant son allure, voltigeait au-dessus des masses confuses du sol, tantфt les effleurant comme s’il eыt voulu s’y poser, tantфt remontant capricieusement а la surface des flots. J’entrevoyais alors quelques vives constellations а travers le cristal des eaux, et prйcisйment cinq ou six de ces йtoiles zodiacales qui traоnent а la queue d’Orion.

 

Longtemps encore, je serais restй а ma vitre, admirant les beautйs de la mer et du ciel, quand les panneaux se refermиrent. А ce moment, le Nautilus йtait arrivй а l’aplomb de la haute muraille. Comment manœuvrerait-il, je ne pouvais le deviner. Je regagnai ma chambre. Le Nautilus ne bougeait plus. Je m’endormis avec la ferme intention de me rйveiller aprиs quelques heures de sommeil.

 

Mais, le lendemain, il йtait huit heures lorsque je revins au salon. Je regardai le manomиtre. Il m’apprit que le Nautilus flottait а la surface de l’Ocйan. J’entendais, d’ailleurs, un bruit de pas sur la plate-forme. Cependant aucun roulis ne trahissait l’ondulation des lames supйrieures.

 

Je montai jusqu’au panneau. Il йtait ouvert. Mais, au lieu du grand jour que j’attendais, je me vis environnй d’une obscuritй profonde. Oщ йtions-nous? M’йtais-je trompй? Faisait-il encore nuit? Non! Pas une йtoile ne brillait, et la nuit n’a pas de ces tйnиbres absolues.

 

Je ne savais que penser, quand une voix me dit:

 

«C’est vous, monsieur le professeur?

 

– Ah! capitaine Nemo, rйpondis-je, oщ sommes-nous?

 

– Sous terre, monsieur le professeur.

 

– Sous terre! m’йcriai-je! Et le Nautilus flotte encore?

 

– Il flotte toujours.

 

– Mais, je ne comprends pas?

 

– Attendez quelques instants. Notre fanal va s’allumer, et, si vous aimez les situations claires, vous serez satisfait. »

 

Je mis le pied sur la plate-forme et j’attendis. L’obscuritй йtait si complиte que je n’apercevais mкme pas le capitaine Nemo. Cependant, en regardant au zйnith, exactement au-dessus de ma tкte, je crus saisir une lueur indйcise, une sorte de demi-jour qui emplissait un trou circulaire. En ce moment, le fanal s’alluma soudain, et son vif йclat fit йvanouir cette vague lumiиre.

 

Je regardai, aprиs avoir un instant fermй mes yeux йblouis par le jet йlectrique. Le Nautilus йtait stationnaire. Il flottait auprиs d’une berge disposйe comme un quai. Cette mer qui le supportait en ce moment, c’йtait un lac emprisonnй dans un cirque de murailles qui mesurait deux milles de diamиtre, soit six milles de tour. Son niveau, – le manomиtre l’indiquait, – ne pouvait кtre que le niveau extйrieur, car une communication existait nйcessairement entre ce lac et la mer. Les hautes parois, inclinйes sur leur base, s’arrondissaient en voыte et figuraient un immense entonnoir retournй, dont la hauteur comptait cinq ou six cents mиtres. Au sommet s’ouvrait un orifice circulaire par lequel j’avais surpris cette lйgиre clartй, йvidemment due au rayonnement diurne.

 

Avant d’examiner plus attentivement les dispositions intйrieures de cette йnorme caverne, avant de me demander si c’йtait lа l’ouvrage de la nature ou de l’homme, j’allai vers le capitaine Nemo.

 


Le Nautilus flottait prиs d’une berge.

 

«Oщ sommes-nous? dis-je.

 

– Au centre mкme d’un volcan йteint, me rйpondit le capitaine, un volcan dont la mer a envahi l’intйrieur а la suite de quelque convulsion du sol. Pendant que vous dormiez, monsieur le professeur, le Nautilus a pйnйtrй dans ce lagon par un canal naturel ouvert а dix mиtres au-dessous de la surface de l’Ocйan. C’est ici son port d’attache, un port sыr, commode, mystйrieux, abritй de tous les rhumbs du vent! Trouvez-moi sur les cфtes de vos continents ou de vos оles une rade qui vaille ce refuge assurй contre la fureur des ouragans.

 

– En effet, rйpondis-je, ici vous кtes en sыretй, capitaine Nemo. Qui pourrait vous atteindre au centre d’un volcan? Mais, а son sommet, n’ai-je pas aperзu une ouverture?

 

– Oui, son cratиre, un cratиre empli jadis de laves, de vapeurs et de flammes, et qui maintenant donne passage а cet air vivifiant que nous respirons.

 

– Mais quelle est donc cette montagne volcanique? demandai-je.

 

– Elle appartient а un des nombreux оlots dont cette mer est semйe. Simple йcueil pour les navires, pour nous caverne immense. Le hasard me l’a fait dйcouvrir, et, en cela, le hasard m’a bien servi.

 

– Mais ne pourrait-on descendre par cet orifice qui forme le cratиre du volcan?

 

– Pas plus que je ne saurais y monter. Jusqu’а une centaine de pieds, la base intйrieure de cette montagne est praticable, mais au-dessus, les parois surplombent, et leurs rampes ne pourraient кtre franchies.

 

– Je vois, capitaine, que la nature vous sert partout et toujours. Vous кtes en sыretй sur ce lac, et nul que vous n’en peut visiter les eaux. Mais, а quoi bon ce refuge? Le Nautilus n’a pas besoin de port.

 

– Non, monsieur le professeur, mais il a besoin d’йlectricitй pour se mouvoir, d’йlйments pour produire son йlectricitй, de sodium pour alimenter ses йlйments, de charbon pour faire son sodium, et de houillиres pour extraire son charbon. Or, prйcisйment ici, la mer recouvre des forкts entiиres qui furent enlisйes dans les temps gйologiques; minйralisйes maintenant et transformйes en houille, elles sont pour moi une mine inйpuisable.

 

– Vos hommes, capitaine, font donc ici le mйtier de mineurs?

 

– Prйcisйment. Ces mines s’йtendent sous les flots comme les houillиres de Newcastle. C’est ici que, revкtus du scaphandre, le pic et la pioche а la main, mes hommes vont extraire cette houille, que je n’ai pas mкme demandйe aux mines de la terre. Lorsque je brыle ce combustible pour la fabrication du sodium, la fumйe qui s’йchappe par le cratиre de cette montagne lui donne encore l’apparence d’un volcan en activitй.

 

– Et nous les verrons а l’œuvre, vos compagnons?

 

– Non, pas cette fois, du moins, car je suis pressй de continuer notre tour du monde sous-marin. Aussi, me contenterai-je de puiser aux rйserves de sodium que je possиde. Le temps de les embarquer, c’est-а-dire un jour seulement, et nous reprendrons notre voyage. Si donc vous voulez parcourir cette caverne et faire le tour du lagon, profitez de cette journйe, monsieur Aronnax. »

 

Je remerciai le capitaine, et j’allai chercher mes deux compagnons qui n’avaient pas encore quittй leur cabine. Je les invitai а me suivre sans leur dire oщ ils se trouvaient.

 

Ils montиrent sur la plate-forme. Conseil, qui ne s’йtonnait de rien, regarda comme une chose trиs-naturelle de se rйveiller sous une montagne aprиs s’кtre endormi sous les flots. Mais Ned Land n’eut d’autre idйe que de chercher si la caverne prйsentait quelque issue.

 

Aprиs dйjeuner, vers dix heures, nous descendions sur la berge.

 

«Nous voici donc encore une fois а terre, dit Conseil.

 

– Je n’appelle pas cela «la terre », rйpondit le Canadien. Et d’ailleurs, nous ne sommes pas dessus, mais dessous. »

 

Entre le pied des parois de la montagne et les eaux du lac se dйveloppait un rivage sablonneux qui, dans sa plus grande largeur, mesurait cinq cents pieds. Sur cette grиve, on pouvait faire aisйment le tour du lac. Mais la base des hautes parois formait un sol tourmentй, sur lequel gisaient, dans un pittoresque entassement, des blocs volcaniques et d’йnormes pierres ponces. Toutes ces masses dйsagrйgйes, recouvertes d’un йmail poli sous l’action des feux souterrains, resplendissaient au contact des jets йlectriques du fanal. La poussiиre micacйe du rivage, que soulevaient nos pas, s’envolait comme une nuйe d’йtincelles.

 

Le sol s’йlevait sensiblement en s’йloignant du relais des flots, et nous fыmes bientфt arrivйs а des rampes longues et sinueuses, vйritables raidillons qui permettaient de s’йlever peu а peu, mais il fallait marcher prudemment au milieu de ces, conglomйrats, qu’aucun ciment ne reliait entre eux, et le pied glissait sur ces trachytes vitreux, faits de cristaux de feldspath et de quartz.

 

La nature volcanique de cette йnorme excavation s’affirmait de toutes parts. Je le fis observer а mes compagnons.

 

«Vous figurez-vous, leur demandai-je, ce que devait кtre cet entonnoir, lorsqu’il s’emplissait de laves bouillonnantes, et que le niveau de ce liquide incandescent s’йlevait jusqu’а l’orifice de la montagne, comme la fonte sur les parois d’un fourneau?

 

– Je me le figure parfaitement, rйpondit Conseil. Mais monsieur me dira-t-il pourquoi le grand fondeur a suspendu son opйration, et comment il se fait que la fournaise est remplacйe par les eaux tranquilles d’un lac?

 

– Trиs-probablement, Conseil, parce que quelque convulsion a produit au-dessous de la surface de l’Ocйan cette ouverture qui a servi de passage au Nautilus. Alors les eaux de l’Atlantique se sont prйcipitйes а l’intйrieur de la montagne. Il y a eu lutte terrible entre les deux йlйments, lutte qui s’est terminйe а l’avantage de Neptune. Mais bien des siиcles se sont йcoulйs depuis lors, et le volcan submergй s’est changй en grotte paisible.

 

– Trиs-bien, rйpliqua Ned Land. J’accepte l’explication, mais je regrette, dans notre intйrкt, que cette ouverture dont parle monsieur le professeur ne soit pas produite au-dessus du niveau de la mer.

 

– Mais, ami Ned, rйpliqua Conseil, si ce passage n’eыt pas йtй sous-marin, le Nautilus n’aurait pu y pйnйtrer!

 

– Et j’ajouterai, maоtre Land, que les eaux ne se seraient pas prйcipitйes sous la montagne et que le volcan serait restй volcan. Donc vos regrets sont superflus. »

 

Notre ascension continua. Les rampes se faisaient de plus en plus raides et йtroites. De profondes excavations les coupaient parfois, qu’il fallait franchir. Des masses surplombantes voulaient кtre tournйes. On se glissait sur les genoux, on rampait sur le ventre. Mais, l’adresse de Conseil et la force du Canadien aidant, tous les obstacles furent surmontйs.

 

А une hauteur de trente mиtres environ, la nature du terrain se modifia, sans qu’il devоnt plus praticable. Aux conglomйrats et aux trachytes succйdиrent de noirs basaltes; ceux-ci йtendus par nappes toutes grumelйes de soufflures; ceux-lа formant des prismes rйguliers, disposйs comme une colonnade qui supportait les retombйes de cette voыte immense, admirable spйcimen de l’architecture naturelle. Puis, entre ces basaltes serpentaient de longues coulйes de laves refroidies, incrustйes de raies bitumineuses, et, par places, s’йtendaient de larges tapis de soufre. Un jour plus puissant, entrant par le cratиre supйrieur, inondait d’une vague clartй toutes ces dйjections volcaniques, а jamais ensevelies au sein de la montagne йteinte.



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