Картина неизвестного художника 2 глава




 

И лишь немногие, любовники Безумья,

Презрев стада людей, пасомые Судьбой,

В бездонный опиум ныряют без раздумья!

— Вот, мир, на каждый день позорный список твой!»

 

 

VII

Вот горькие плоды бессмысленных блужданий!

Наш монотонный мир одно лишь может дать

Сегодня, как вчера; в пустыне злых страданий

Оазис ужаса нам дан как благодать!

 

Остаться иль уйти? Будь здесь, кто сносит бремя,

Кто должен, пусть уйдет! Смотри: того уж нет,

Тот медлит, всячески обманывая Время —

Врага смертельного, что мучит целый свет.

 

Не зная отдыха в мучительном угаре,

Бродя, как Вечный Жид[123], презрев вагон, фрегат,

Он не уйдет тебя, проклятый ретиарий;

А тот малюткою с тобой покончить рад.

 

Когда ж твоя нога придавит наши спины,

Мы вскрикнем с тайною надеждою: «Вперед!»

Как в час, когда в Китай нас гнало жало сплина,

Рвал кудри ветр, а взор вонзался в небосвод;

 

Наш путь лежит в моря, где вечен мрак печальный,

Где будет весел наш неискушенный дух…

Чу! Нежащий призыв и голос погребальный

До слуха нашего слегка коснулись вдруг:

 

«Сюда, здесь Лотоса цветок благоуханный,

Здесь вкусят все сердца волшебного плода,

Здесь опьянит ваш дух своей отрадой странной

Наш день, не знающий заката никогда!»

 

Я тень по голосу узнал; со дна Пилады[124]

К нам руки нежные стремятся протянуть,

И та, чьи ноги я лобзал в часы услады,

Меня зовет: «Направь к своей Электре[125]путь!»

 

 

VIII

Смерть, капитан седой! страдать нет больше силы!

Поднимем якорь наш! О Смерть! нам в путь пора!

Пусть черен свод небес, пусть море — как чернилы,

В душе испытанной горит лучей игра!

 

Пролей же в сердце яд, он нас спасет от боли;

Наш мозг больной, о Смерть, горит в твоем огне,

И бездна нас влечет. Ад, Рай — не все равно ли?

Мы новый мир найдем в безвестной глубине!

 

le français

 

LES FLEURS DU MAL

 

Au poëte impeccable

Au parfait magicien ès lettres françaises

À mon très-cher et très-vénéré

Maître et ami

THÉOPHILE GAUTIER

Avec les sentiments

De la plus profonde humilité

Je dédie

CES FLEURS MALADIVES

C. B.

 

AU LECTEUR

 

 

La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,

Occupent nos esprits et travaillent nos corps,

Et nous alimentons nos aimables remords,

Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

 

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;

Nous nous faisons payer grassement nos aveux,

Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,

Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

 

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste

Qui berce longuement notre esprit enchanté,

Et le riche métal de notre volonté

Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

 

C'est le diable qui tient les fils qui nous remuent!

Aux objets répugnants nous trouvons des appas;

Chaque jour vers l'enfer nous descendons d'un pas,

Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

 

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange

Le sein martyrisé d'une antique catin,

Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

 

Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,

Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons,

Et, quand nous respirons, la mort dans nos poumons

Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

 

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,

N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins

Le canevas banal de nos piteux destins,

C'est que notre âme, hélas! N'est pas assez hardie.

 

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,

Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,

Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,

Dans la ménagerie infâme de nos vices,

 

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!

Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,

Il ferait volontiers de la terre un débris

Et dans un bâillement avalerait le monde;

 

C'est l'ennui! — l'œil chargé d'un pleur involontaire,

Il rêve d'échafauds en fumant son houka.

Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,

Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère!

 

русский

 

SPLEEN ET IDÉAL

 

I

BÉNÉDICTION

 

 

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,

Le poète apparaît dans ce monde ennuyé,

Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes

Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié:

 

— "Ah! Que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,

Plutôt que de nourrir cette dérision!

Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères

Où mon ventre a conçu mon expiation!

 

Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes

Pour être le dégoût de mon triste mari,

Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,

Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

 

Je ferai rejaillir la haine qui m'accable

Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,

Et je tordrai si bien cet arbre misérable,

Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés!"

 

Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,

Et, ne comprenant pas les desseins éternels,

Elle-même prépare au fond de la Géhenne

Les bûchers consacrés aux crimes maternels.

 

Pourtant, sous la tutelle invisible d'un ange,

L'enfant déshérité s'enivre de soleil,

Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange

Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

 

Il joue avec le vent, cause avec le nuage,

Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;

Et l'esprit qui le suit dans son pèlerinage

Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.

 

Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,

Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,

Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,

Et font sur lui l'essai de leur férocité.

 

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche

Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats;

Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,

Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

 

Sa femme va criant sur les places publiques:

Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,

Je ferai le métier des idoles antiques,

Et comme elles je veux me faire redorer;

 

Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,

De génuflexions, de viandes et de vins,

Pour savoir si je puis dans un cœur qui m'admire

Usurper en riant les hommages divins!

 

Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,

Je poserai sur lui ma frêle et forte main;

Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,

Sauront jusqu'à son cœur se frayer un chemin.

 

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,

J'arracherai ce cœur tout rouge de son sein,

Et, pour rassasier ma bête favorite,

Je le lui jetterai par terre avec dédain!"

 

Vers le ciel, où son œil voit un trône splendide,

Le poète serein lève ses bras pieux,

Et les vastes éclairs de son esprit lucide

Lui dérobent l'aspect des peuples furieux:

 

— "Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance

Comme un divin remède à nos impuretés

Et comme la meilleure et la plus pure essence

Qui prépare les forts aux saintes voluptés!

 

Je sais que vous gardez une place au poète

Dans les rangs bienheureux des saintes légions,

Et que vous l'invitez à l'éternelle fête

Des trônes, des vertus, des dominations.

 

Je sais que la douleur est la noblesse unique

Où ne mordront jamais la terre et les enfers,

Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique

Imposer tous les temps et tous les univers.

 

Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,

Les métaux inconnus, les perles de la mer,

Par votre main montés, ne pourraient pas suffire

À ce beau diadème éblouissant et clair;

 

Car il ne sera fait que de pure lumière,

Puisée au foyer saint des rayons primitifs,

Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,

Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs!"

 

русский

 

II

L'ALBATROS

 

 

Souvent pour s'amuser, les hommes d'équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

 

À peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d'eux.

 

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!

Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

 

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archer;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

 

русский

 

III

ÉLÉVATION

 

 

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,

Par delà le soleil, par delà les éthers,

Par delà les confins des sphères étoilées,

 

Mon esprit, tu te meus avec agilité,

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,

Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde

Avec une indicible et mâle volupté.

 

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;

Va te purifier dans l'air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

 

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

 

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

— Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes!

 

русский

 

IV

CORRESPONDANCES

 

 

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.

 

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

 

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

 

Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

 

русский

 

V

 

 

J'aime le souvenir de ces époques nues,

Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues.

Alors l'homme et la femme en leur agilité

Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,

Et, le ciel amoureux leur caressant l'échine,

Exerçaient la santé de leur noble machine.

Cybèle alors, fertile en produits généreux,

Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux,

Mais, louve au cœur gonflé de tendresses communes,

Abreuvait l'univers à ses tétines brunes.

L'homme, élégant, robuste et fort, avait le droit

D'être fier des beautés qui le nommaient leur roi;

Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures,

Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures!

 

Le poète aujourd'hui, quand il veut concevoir

Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir

La nudité de l'homme et celle de la femme,

Sent un froid ténébreux envelopper son âme

Devant ce noir tableau plein d'épouvantement.

Ô monstruosités pleurant leur vêtement!

Ô ridicules troncs! Torses dignes des masques!

Ô pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques,

Que le dieu de l'utile, implacable et serein,

Enfants, emmaillota dans ses langes d'airain!

Et vous, femmes, hélas! Pâles comme des cierges,

Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges,

Du vice maternel traînant l'hérédité

Et toutes les hideurs de la fécondité!

 

Nous avons, il est vrai, nations corrompues,

Aux peuples anciens des beautés inconnues:

Des visages rongés par les chancres du cœur,

Et comme qui dirait des beautés de langueur;

Mais ces inventions de nos muses tardives

N'empêcheront jamais les races maladives

De rendre à la jeunesse un hommage profond,

- À la sainte jeunesse, à l'air simple, au doux front,

À œil limpide et clair ainsi qu'une eau courante,

Et qui va répandant sur tout, insouciante

Comme l'azur du ciel, les oiseaux et les fleurs,

Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs!

 

русский

 

VI

LES PHARES

 

 

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,

Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,

Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,

Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer;

 

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,

Où des anges charmants, avec un doux souris

Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre

Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;

 

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,

Et d'un grand crucifix décoré seulement,

Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,

Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement;

 

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des hercules

Se mêler à des Christs, et se lever tout droits

Des fantômes puissants qui dans les crépuscules

Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts;

 

Colères de boxeur, impudences de faune,

Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,

Grand cœur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,

Puget, mélancolique empereur des forçats;

 

Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,

Comme des papillons, errent en flamboyant,

Décors frais et légers éclairés par des lustres

Qui versent la folie à ce bal tournoyant;

 

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,

De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,

De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,

Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas;

 

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,

Ombragé par un bois de sapins toujours vert,

Où sous un ciel chagrin, des fanfares étranges

Passent, comme un soupir étouffé de Weber;

 

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,

Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,

Sont un écho redit par mille labyrinthes;

C'est pour les cœurs mortels un divin opium!

 

C'est un cri répété par mille sentinelles,

Un ordre renvoyé par mille porte-voix;

C'est un phare allumé sur mille citadelles,

Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois!

 

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage

Que nous puissions donner de notre dignité

Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge

Et vient mourir au bord de votre éternité!

 

русский

 

VII

LA MUSE MALADE

 

 

Ma pauvre muse, hélas! Qu'as-tu donc ce matin?

Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,

Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint

La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

 

Le succube verdâtre et le rose lutin

T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes?

Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,

T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes?

 

Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé

Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,

Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques

 

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,

Où règnent tour à tour le père des chansons,

Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

 

русский

 

VIII

LA MUSE VÉNALE

 

 

Ô muse de mon cœur, amante des palais,

Auras-tu quand janvier lâchera ses Borées,

Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,

Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?

 

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées

Aux nocturnes rayons qui percent les volets?

Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,

Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?

 

Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,

Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir,

Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,

 

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas

Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,

Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

 

русский

 

IX

LE MAUVAIS MOINE

 

 

Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles

Étalaient en tableaux la sainte vérité,

Dont l'effet, réchauffant les pieuses entrailles,

Tempérait la froideur de leur austérité.

 

En ces temps où du Christ florissaient les semailles,

Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité,

Prenant pour atelier le champ des funérailles,

Glorifiait la mort avec simplicité.

 

— Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,

Depuis l'éternité je parcours et j'habite;

Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux.

 

Ô moine fainéant! Quand saurai-je donc faire

Du spectacle vivant de ma triste misère

Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux?

 

русский

 

X

L'ENNEMI

 

 

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,

Traversé çà et là par de brillants soleils;

Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,

Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

 

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,

Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux

Pour rassembler à neuf les terres inondées,

Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

 

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve

Trouveront dans ce sol lavé comme une grève

Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?

 

- Ô douleur! Ô douleur! Le temps mange la vie,

Et l'obscur ennemi qui nous ronge le cœur

Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

 

русский

 

XI

LE GUIGNON

 

 

Pour soulever un poids si lourd,

Sisyphe, il faudrait ton courage!

Bien qu'on ait du cœur à l'ouvrage,

L'art est long et le temps est court.

 

Loin des sépultures célèbres,

Vers un cimetière isolé,

Mon cœur, comme un tambour voilé,

Va battant des marches funèbres.

 

— Maint joyau dort enseveli

Dans les ténèbres et l'oubli,

Bien loin des pioches et des sondes;

 

Mainte fleur épanche à regret

Son parfum doux comme un secret

Dans les solitudes profondes.

 

русский

 

XII

LA VIE ANTÉRIEURE

 

 

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques

Que les soleils marins teignaient de mille feux,

Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,

Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

 

Les houles, en roulant les images des cieux,

Mêlaient d'une façon solennelle et mystique

Les tout-puissants accords de leur riche musique

Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

 

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,

Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs

Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

 

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,

Et dont l'unique soin était d'approfondir

Le secret douloureux qui me faisait languir.

 

русский

 

XIII

BOHÉMIENS EN VOYAGE

 

 

La tribu prophétique aux prunelles ardentes

Hier s'est mise en route, emportant ses petits

Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits

Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

 

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes

Le long des chariots où les leurs sont blottis,

Promenant sur le ciel des yeux appesantis

Par le morne regret des chimères absentes.

 

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,

Les regardant passer, redouble sa chanson;

Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

 

Fait couler le rocher et fleurir le désert

Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert

L'empire familier des ténèbres futures.

 

русский

 

XIV

L'HOMME ET LA MER

 

 

Homme libre, toujours tu chériras la mer!

La mer est ton miroir; tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

 

Tu te plais à plonger au sein de ton image;

Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur

Se distrait quelquefois de sa propre rumeur

Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

 

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets:

Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,

Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,

Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

 

Et cependant voilà des siècles innombrables

Que vous vous combattez sans pitié ni remord,

Tellement vous aimez le carnage et la mort,

Ô lutteurs éternels, ô frères implacables!

 

русский

 

XV

DON JUAN AUX ENFERS

 

 

Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine

Et quand il eut donné son obole à Charon,

Un sombre mendiant, œil fier comme Antisthène,

D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

 

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,

Des femmes se tordaient sous le noir firmament,

Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,

Derrière lui traînaient un long mugissement.

 

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,



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