Petites causes, grands effets




 

Fou da rage, Tafardel se rendit à la poste, où il se mit directement en relation avec les correspondants régionaux de la presse parisienne, qui à leur tour téléphonèrent d'urgence à Paris les communiqués terribles de l'instituteur. Ces communiqués parurent dans les journaux du soir de la capitale. Les dramatiques incidents de Clochemerle frappèrent de stupeur[38] les ministres et plus spécialement Alexis Luvelat, qui portait à la fois le poids de cette affaire et les responsabilités d'un intérim gouvernemental.[39]

Le président du Conseil, accompagné de son ministre des Affaires étrangères et d'une suite importante de techniciens, sé­journait alors à Genève, où il représentait la France à la Conférence du désarmement.

 

 

Toutes les nations, grandes et petites, étaient d'accord pour désarmer et convenir que le désarmement apporterait un grand soulagement aux maux de l’humanité. Il ne s'agissait plus que de concilier les points de vue, nécessairement différents, avant d’arrêter les articles d’un plan mondial.

L'Angleterre disait:

- Nous sommes le premier peuple maritime du monde, depuis plusieurs siècles. Nous possédons la moitié des colonies disponi­bles dans le monde ce qui revient à dire[40] que nous faisons la police sur la moitié du globe. Voilà le point de départ de tout désarmement.

L’Amérique disait:

-Nous sommes dans la nécessité de nous mêler des affaires de l'Europe où tout va mal par excès d’armement[41], qui ne peut évidemment se mêler des affaires de l'Amérique, où tout va bien... Nous apportons un programme américain. En tout, les programmes américains sont excellents, car nous sommes le pays le plus prospère de la terre. Enfin, si vous n'acceptez pas notre programme, attendez-vous à recevoir nos relevés de factures[42].

Le Japon disait:

- Nous sommes prêts à désarmer... Nous avons actuellement la plus forte natalité[43] du monde. Et si nous ne mettons pas un peu d'ordre en Chine, ce malheureux pays va sombrer dans l’anarchie[44], ce qui serait un immense désastre pour la communauté humaine.

L'Italie disait:

- Dès que nous aurons égalé en puissance l'armement de la France que nous égalons en population, nous commencerons à désarmer.

La Suisse disait:

- Etant pays neutre, appelé à ne jamais se battre, nous pouvons bien nous armer tant que nous voudrons, cela n’a pas d'importance.

Et la Belgique:

- Etant pays neutre, dont la neutralité n'est pas respectée, nous demandons à nous armer librement jusqu'aux dents...

Bref, toutes les nations tombaient d'accord sur une formule, qui se résumait d'un mot: «Désarmez... »

 

Dans la nuit du 19 septembre parvint à Genève un message chiffré qui avait trait aux vifs incidents de Clochemerle. Dès que ce message fut traduit, le secrétaire courut aux appartements du président du Conseil, afin que ce dernier en prît aussitôt connaissance. Le chef du gouvernement lut deux fois le message, et une troisième fois à voix haute. Puis il se tourna vers quelques collaborateurs qui se trouvaient là:

- Nom de Dieu, dit-il, mon ministère peut très bien sauter sur une histoire pareille[45]. II faut que je rentre immédiatement à Paris.

- Et la conférence, monsieur le président?

- C'est bien simple: vous allez la torpiller. Trouver un moyen et vite. Le désarmement peut attendre, ça fait cinquante mille ans qu'il attend. Mais Clochemerle n'attendra pas...

- Monsieur le Président, proposa le chef des experts, il y aurait peut être moyen de tout arranger. Confiez votre plan au ministre des Affaires étrangères. Il défendra le point de vue de la France et nous le soutiendrons de notre mieux.

- Vous n'êtes pas culotté, vous, dit froidement le président du Conseil. Vous pensez que j’ai transpiré pendant un mois sur mon plan pour le passer aujourd'hui à Rancourt, qui se taillera sur mon dos un succès personnel[46]?

- Je croyais, balbutia l’autre, voir là l'intérêt de la France...

- La France c'est moi, s'écria le président, allez vous occuper, messieurs, de renvoyer tous ces macaques dans leurs pays. Nous leur foutrons une autre conférence dans quelques mois.

- Ne craignez-vous pas, monsieur le président, que l'opinion publique en France n’interprète mal ce brusque départ?

Avant de répondre, le président du Conseil interrogea son secré­taire particulier:

- Quelles sont les disponibilités de la caisse des fonds secrets?

- Cinq millions, monsieur le Président...

- Vous entendez, monsieur! Cinq millions! Avec ça, il n'y a pas d’opinion publique. Et sachez ceci: la presse française n'est pas chère... Je suis placé pour le savoir[47]. C'est dans la presse, section des affaires étrangères, que j'ai commencé ma carrière... Décidément, messieurs, nous pouvons filer. Nous désarmerons une autre fois. Allons nous occuper de Clochemerle.

Ainsi échoua, en 1925, la conférence du désarmement.

 

 

Etude du texte

 



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