Livre premier – Un juste 10 глава




 

Ce qui йtait certain, ce dont il ne se doutait pas, c'est qu'il n'йtait dйjа plus le mкme homme, c'est que tout йtait changй en lui, c'est qu'il n'йtait plus en son pouvoir de faire que l'йvкque ne lui eыt pas parlй et ne l'eыt pas touchй.

 

Dans cette situation d'esprit, il avait rencontrй Petit-Gervais et lui avait volй ses quarante sous. Pourquoi? Il n'eыt assurйment pu l'expliquer; йtait-ce un dernier effet et comme un suprкme effort des mauvaises pensйes qu'il avait apportйes du bagne, un reste d'impulsion, un rйsultat de ce qu'on appelle en statique la force acquise? C'йtait cela, et c'йtait aussi peut-кtre moins encore que cela. Disons-le simplement, ce n'йtait pas lui qui avait volй, ce n'йtait pas l'homme, c'йtait la bкte qui, par habitude et par instinct, avait stupidement posй le pied sur cet argent, pendant que l'intelligence se dйbattait au milieu de tant d'obsessions inouпes et nouvelles. Quand l'intelligence se rйveilla et vit cette action de la brute, Jean Valjean recula avec angoisse et poussa un cri d'йpouvante.

 

C'est que, phйnomиne йtrange et qui n'йtait possible que dans la situation oщ il йtait, en volant cet argent а cet enfant, il avait fait une chose dont il n'йtait dйjа plus capable.

 

Quoi qu'il en soit, cette derniиre mauvaise action eut sur lui un effet dйcisif; elle traversa brusquement ce chaos qu'il avait dans l'intelligence et le dissipa, mit d'un cфtй les йpaisseurs obscures et de l'autre la lumiиre, et agit sur son вme, dans l'йtat oщ elle se trouvait, comme de certains rйactifs chimiques agissent sur un mйlange trouble en prйcipitant un йlйment et en clarifiant l'autre.

 

Tout d'abord, avant mкme de s'examiner et de rйflйchir, йperdu, comme quelqu'un qui cherche а se sauver, il tвcha de retrouver l'enfant pour lui rendre son argent, puis, quand il reconnut que cela йtait inutile et impossible, il s'arrкta dйsespйrй. Au moment oщ il s'йcria: » je suis un misйrable! » il venait de s'apercevoir tel qu'il йtait, et il йtait dйjа а ce point sйparй de lui-mкme, qu'il lui semblait qu'il n'йtait plus qu'un fantфme, et qu'il avait lа devant lui, en chair et en os, le bвton а la main, la blouse sur les reins, son sac rempli d'objets volйs sur le dos, avec son visage rйsolu et morne, avec sa pensйe pleine de projets abominables, le hideux galйrien Jean Valjean.

 

L'excиs du malheur, nous l'avons remarquй, l'avait fait en quelque sorte visionnaire. Ceci fut donc comme une vision. Il vit vйritablement ce Jean Valjean, cette face sinistre devant lui. Il fut presque au moment de se demander qui йtait cet homme, et il en eut horreur.

 

Son cerveau йtait dans un de ces moments violents et pourtant affreusement calmes oщ la rкverie est si profonde qu'elle absorbe la rйalitй. On ne voit plus les objets qu'on a autour de soi, et l'on voit comme en dehors de soi les figures qu'on a dans l'esprit.

 

Il se contempla donc, pour ainsi dire, face а face, et en mкme temps, а travers cette hallucination, il voyait dans une profondeur mystйrieuse une sorte de lumiиre qu'il prit d'abord pour un flambeau. En regardant avec plus d'attention cette lumiиre qui apparaissait а sa conscience, il reconnut qu'elle avait la forme humaine, et que ce flambeau йtait l'йvкque.

 

Sa conscience considйra tour а tour ces deux hommes ainsi placйs devant elle, l'йvкque et Jean Valjean. Il n'avait pas fallu moins que le premier pour dйtremper le second. Par un de ces effets singuliers qui sont propres а ces sortes d'extases, а mesure que sa rкverie se prolongeait, l'йvкque grandissait et resplendissait а ses yeux, Jean Valjean s'amoindrissait et s'effaзait. А un certain moment il ne fut plus qu'une ombre. Tout а coup il disparut. L'йvкque seul йtait restй.

 

Il remplissait toute l'вme de ce misйrable d'un rayonnement magnifique. Jean Valjean pleura longtemps. Il pleura а chaudes larmes, il pleura а sanglots, avec plus de faiblesse qu'une femme, avec plus d'effroi qu'un enfant.

 

Pendant qu'il pleurait, le jour se faisait de plus en plus dans son cerveau, un jour extraordinaire, un jour ravissant et terrible а la fois. Sa vie passйe, sa premiиre faute, sa longue expiation, son abrutissement extйrieur, son endurcissement intйrieur, sa mise en libertй rйjouie par tant de plans de vengeance, ce qui lui йtait arrivй chez l'йvкque, la derniиre chose qu'il avait faite, ce vol de quarante sous а un enfant, crime d'autant plus lвche et d'autant plus monstrueux qu'il venait aprиs le pardon de l'йvкque, tout cela lui revint et lui apparut, clairement, mais dans une clartй qu'il n'avait jamais vue jusque-lа. Il regarda sa vie, et elle lui parut horrible; son вme, et elle lui parut affreuse. Cependant un jour doux йtait sur cette vie et sur cette вme. Il lui semblait qu'il voyait Satan а la lumiиre du paradis.

 

Combien d'heures pleura-t-il ainsi? que fit-il aprиs avoir pleurй? oщ alla-t-il? on ne l'a jamais su. Il paraоt seulement avйrй que, dans cette mкme nuit, le voiturier qui faisait а cette йpoque le service de Grenoble et qui arrivait а Digne vers trois heures du matin, vit en traversant la rue de l'йvкchй un homme dans l'attitude de la priиre, а genoux sur le pavй, dans l'ombre, devant la porte de monseigneur Bienvenu.



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