А propos de cette йdition йlectronique 8 глава




 

«Capitaine Nemo, dis-je, je constate les rйsultats et je ne cherche pas а les expliquer. J’ai vu le Nautilus manœuvrer devant l’ Abraham-Lincoln, et je sais а quoi m’en tenir sur sa vitesse. Mais marcher ne suffit pas. Il faut voir oщ l’on va! Il faut pouvoir se diriger а droite, а gauche, en haut, en bas! Comment atteignez-vous les grandes profondeurs, oщ vous trouvez une rйsistance croissante qui s’йvalue par des centaines d’atmosphиres? Comment remontez-vous а la surface de l’Ocйan? Enfin, comment vous maintenez-vous dans le milieu qui vous convient? Suis-je indiscret en vous le demandant?

 

– Aucunement, monsieur le professeur, me rйpondit le capitaine, aprиs une lйgиre hйsitation, puisque vous ne devez jamais quitter ce bateau sous-marin. Venez dans le salon. C’est notre vйritable cabinet de travail, et lа, vous apprendrez tout ce que vous devez savoir sur le Nautilus! »

 

XIII

QUELQUES CHIFFRES

 

Un instant aprиs, nous йtions assis sur un divan du salon, le cigare aux lиvres. Le capitaine mit sous mes yeux une йpure qui donnait les plan, coupe et йlйvation du Nautilus. Puis il commenзa sa description en ces termes:

 

«Voici, monsieur Aronnax, les diverses dimensions du bateau qui vous porte. C’est un cylindre trиs-allongй, а bouts coniques. Il affecte sensiblement la forme d’un cigare, forme dйjа adoptйe а Londres dans plusieurs constructions du mкme genre. La longueur de ce cylindre, de tкte en tкte, est exactement de soixante-dix mиtres, et son bau, а sa plus grande largeur, est de huit mиtres. Il n’est donc pas construit tout а fait au dixiиme comme vos steamers de grande marche, mais ses lignes sont suffisamment longues et sa coulйe assez prolongйe, pour que l’eau dйplacйe s’йchappe aisйment et n’oppose aucun obstacle а sa marche.

 

«Ces deux dimensions vous permettent d’obtenir par un simple calcul la surface et le volume du Nautilus. Sa surface comprend mille onze mиtres carrйs et quarante-cinq centiиmes; son volume, quinze cents mиtres cubes et deux dixiиmes, – ce qui revient а dire qu’entiиrement immergй, il dйplace ou pиse quinze cents mиtres cubes ou tonneaux.

 

«Lorsque j’ai fait les plans de ce navire destinй а une navigation sous-marine, j’ai voulu, qu’en йquilibre dans l’eau il plongeвt des neuf dixiиmes, et qu’il йmergeвt d’un dixiиme seulement. Par consйquent, il ne devait dйplacer dans ces conditions que les neuf dixiиmes de son volume, soit treize cent cinquante-six mиtres cubes et quarante-huit centiиmes, c’est-а-dire ne peser que ce mкme nombre de tonneaux. J’ai donc dы ne pas dйpasser ce poids en le construisant suivant les dimensions susdites.

 


Nous йtions assis sur un divan.

 

«Le Nautilus se compose de deux coques, l’une intйrieure, l’autre extйrieure, rйunies entre elles par des fers en T qui lui donnent une rigiditй extrкme. En effet, grвce а cette disposition cellulaire, il rйsiste comme un bloc, comme s’il йtait plein. Son bordй ne peut cйder; il adhиre par lui-mкme et non par le serrage des rivets, et l’homogйnйitй de sa construction, due au parfait assemblage des matйriaux, lui permet de dйfier les mers les plus violentes.

 

«Ces deux coques sont fabriquйes en tфle d’acier dont la densitй par rapport а l’eau est de sept, huit dixiиmes. La premiиre n’a pas moins de cinq centimиtres d’йpaisseur, et pиse trois cent quatre-vingt-quatorze tonneaux quatre-vingt-seize centiиmes. La seconde enveloppe, la quille, haute de cinquante centimиtres et large de vingt-cinq, pesant, а elle seule, soixante-deux tonneaux, la machine, le lest, les divers accessoires et amйnagements, les cloisons et les йtrйsillons intйrieurs, ont un poids de neuf cent soixante et un tonneaux soixante-deux centiиmes, qui, ajoutйs aux trois cent quatre-vingt-quatorze tonneaux et quatre-vingt-seize centiиmes, forment le total exigй de treize cent cinquante-six tonneaux et quarante-huit centiиmes. Est-ce entendu?

 

– C’est entendu, rйpondis-je.

 

– Donc, reprit le capitaine, lorsque le Nautilus se trouve а flot dans ces conditions, il йmerge d’un dixiиme. Or, si j’ai disposй des rйservoirs d’une capacitй йgale а ce dixiиme, soit d’une contenance de cent cinquante tonneaux et soixante-douze centiиmes, et si je les remplis d’eau, le bateau dйplaзant alors quinze cent sept tonneaux, ou les pesant, sera complиtement immergй. C’est ce qui arrive, monsieur le professeur. Ces rйservoirs existent en abord dans les parties infйrieures du Nautilus. J’ouvre des robinets, ils se remplissent, et le bateau s’enfonзant vient affleurer la surface de l’eau.

 

– Bien, capitaine, mais nous arrivons alors а la vйritable difficultй. Que vous puissiez affleurer la surface de l’Ocйan, je le comprends. Mais plus bas, en plongeant au-dessous de cette surface, votre appareil sous-marin ne va-t-il pas rencontrer une pression et par consйquent subir une poussйe de bas en haut qui doit кtre йvaluйe а une atmosphиre par trente pieds d’eau, soit environ un kilogramme par centimиtre carrй?

 

– Parfaitement, monsieur.

 

– Donc, а moins que vous ne remplissiez le Nautilus en entier, je ne vois pas comment vous pouvez l’entraоner au sein des masses liquides.

 

– Monsieur le professeur, rйpondit le capitaine Nemo, il ne faut pas confondre la statique avec la dynamique, sans quoi l’on s’expose а de graves erreurs. Il y a trиs-peu de travail а dйpenser pour atteindre les basses rйgions de l’Ocйan, car les corps ont une tendance а devenir «fondriers ». Suivez mon raisonnement.

 

– Je vous йcoute, capitaine.

 

– Lorsque j’ai voulu dйterminer l’accroissement de poids qu’il faut donner au Nautilus pour l’immerger, je n’ai eu а me prйoccuper que de la rйduction du volume que l’eau de mer йprouve а mesure que ses couches deviennent de plus en plus profondes.

 

– C’est йvident, rйpondis-je.

 

– Or, si l’eau n’est pas absolument incompressible, elle est, du moins, trиs-peu compressible. En effet, d’aprиs les calculs les plus rйcents, cette rйduction n’est que de quatre cent trente-six dix millioniиmes par atmosphиre, ou par chaque trente pieds de profondeur. S’agit-il d’aller а mille mиtres, je tiens compte alors de la rйduction du volume sous une pression йquivalente а celle d’une colonne d’eau de mille mиtres, c’est-а-dire sous une pression de cent atmosphиres. Cette rйduction sera alors de quatre cent trente-six cent milliиmes. Je devrai donc accroоtre le poids de faзon а peser quinze cent treize tonneaux soixante-dix-sept centiиmes, au lieu de quinze cent sept tonneaux deux dixiиmes. L’augmentation ne sera consйquemment que de six tonneaux cinquante-sept centiиmes.

 

– Seulement?

 

– Seulement, monsieur Aronnax, et le calcul est facile а vйrifier. Or, j’ai des rйservoirs supplйmentaires capables d’embarquer cent tonneaux. Je puis donc descendre а des profondeurs considйrables. Lorsque je veux remonter а la surface et l’affleurer, il me suffit de chasser cette eau, et de vider entiиrement tous les rйservoirs, si je dйsire que le Nautilus йmerge du dixiиme de sa capacitй totale. »

 

А ces raisonnements appuyйs sur des chiffres, je n’avais rien а objecter.

 

«J’admets vos calculs, capitaine, rйpondis-je, et j’aurais mauvaise grвce а les contester, puisque l’expйrience leur donne raison chaque jour. Mais je pressens actuellement en prйsence une difficultй rйelle.

 

– Laquelle, monsieur?

 

– Lorsque vous кtes par mille mиtres de profondeur, les parois du Nautilus supportent une pression de cent atmosphиres. Si donc, а ce moment, vous voulez vider les rйservoirs supplйmentaires pour allйger votre bateau et remonter а la surface, il faut que les pompes vainquent cette pression de cent atmosphиres, qui est de cent kilogrammes par centimиtre carrй. De lа une puissance…

 

– Que l’йlectricitй seule pouvait me donner, se hвta de dire le capitaine Nemo. Je vous rйpиte, monsieur, que le pouvoir dynamique de mes machines est а peu prиs infini. Les pompes du Nautilus ont une force prodigieuse, et vous avez dы le voir, quand leurs colonnes d’eau se sont prйcipitйes comme un torrent sur l’ Abraham-Lincoln. D’ailleurs, je ne me sers des rйservoirs supplйmentaires que pour atteindre des profondeurs moyennes de quinze cent а deux mille mиtres, et cela dans le but de mйnager mes appareils. Aussi, lorsque la fantaisie me prend de visiter les profondeurs de l’Ocйan а deux ou trois lieues au-dessous de sa surface, j’emploie des manœuvres plus longues, mais non moins infaillibles.

 

– Lesquelles, capitaine? demandai-je.

 

– Ceci m’amиne naturellement а vous dire comment se manœuvre le Nautilus.

 

– Je suis impatient de l’apprendre.

 

– Pour gouverner ce bateau sur tribord, sur bвbord, pour йvoluer, en un mot, suivant un plan horizontal, je me sers d’un gouvernail ordinaire а large safran, fixй sur l’arriиre de l’йtambot, et qu’une roue et des palans font agir. Mais je puis aussi mouvoir le Nautilus de bas en haut et de haut en bas, dans un plan vertical, au moyen de deux plans inclinйs, attachйs а ses flancs sur son centre de flottaison, plans mobiles, aptes а prendre toutes les positions, et qui se manœuvrent de l’intйrieur au moyen de leviers puissants. Ces plans sont-ils maintenus parallиles au bateau, celui-ci se meut horizontalement. Sont-ils inclinйs, le Nautilus, suivant la disposition de cette inclinaison et sous la poussйe de son hйlice, ou s’enfonce suivant une diagonale aussi allongйe qu’il me convient, ou remonte suivant cette diagonale. Et mкme, si je veux revenir plus rapidement а la surface, j’embraye l’hйlice, et la pression des eaux fait remonter verticalement le Nautilus comme un ballon qui, gonflй d’hydrogиne, s’йlиve rapidement dans les airs.

 

– Bravo! capitaine, m’йcriais-je. Mais comment le timonier peut-il suivre la route que vous lui donnez au milieu des eaux?

 

– Le timonier est placй dans une cage vitrйe, qui fait saillie а la partie supйrieure de la coque du Nautilus, et que garnissent des verres lenticulaires.

 

– Des verres capables de rйsister а de telles pressions?

 

– Parfaitement. Le cristal, fragile au choc, offre cependant une rйsistance considйrable. Dans des expйriences de pкche а la lumiиre йlectrique faites en 1864, au milieu des mers du Nord, on a vu des plaques de cette matiиre, sous une йpaisseur de sept millimиtres seulement, rйsister а une pression de seize atmosphиres, tout en laissant passer de puissants rayons calorifiques qui lui rйpartissaient inйgalement la chaleur. Or, les verres dont je me sers n’ont pas moins de vingt et un centimиtres а leur centre, c’est-а-dire trente fois cette йpaisseur.

 

– Admis, capitaine Nemo; mais enfin, pour voir, il faut que la lumiиre chasse les tйnиbres, et je me demande comment au milieu de l’obscuritй des eaux…

 

– En arriиre de la cage du timonier est placй un puissant rйflecteur йlectrique, dont les rayons illuminent la mer а un demi-mille de distance.

 

– Ah! bravo, trois fois bravo! capitaine. Je m’explique maintenant cette phosphorescence du prйtendu narwal, qui a tant intriguй les savants! А ce propos, je vous demanderai si l’abordage du Nautilus et du Scotia, qui a eu un si grand retentissement, a йtй le rйsultat d’une rencontre fortuite?

 

– Purement fortuite, monsieur. Je naviguais а deux mиtres au-dessous de la surface des eaux, quand le choc s’est produit. J’ai d’ailleurs vu qu’il n’avait eu aucun rйsultat fвcheux.

 

– Aucun, monsieur. Mais quant а votre rencontre avec l’ Abraham-Lincoln?…

 

– Monsieur le professeur, j’en suis fвchй pour l’un des meilleurs navires de cette brave marine amйricaine mais on m’attaquait et j’ai dы me dйfendre! Je me suis contentй, toutefois, de mettre la frйgate hors d’йtat de me nuire, – elle ne sera pas gкnйe de rйparer ses avaries au port le plus prochain.

 

– Ah! commandant, m’йcriai-je avec conviction, c’est vraiment un merveilleux bateau que votre Nautilus!

 

– Oui, monsieur le professeur, rйpondit avec une vйritable йmotion le capitaine Nemo, et je l’aime comme la chair de ma chair! Si tout est danger sur un de vos navires soumis aux hasards de l’Ocйan, si sur cette mer, la premiиre impression est le sentiment de l’abоme, comme l’a si bien dit le Hollandais Jansen, au-dessous et а bord du Nautilus, le cœur de l’homme n’a plus rien а redouter. Pas de dйformation а craindre, car la double coque de ce bateau a la rigiditй du fer; pas de grйement que le roulis ou le tangage fatiguent; pas de voiles que le vent emporte; pas de chaudiиres que la vapeur dйchire; pas d’incendie а redouter, puisque cet appareil est fait de tфle et non de bois; pas de charbon qui s’йpuise, puisque l’йlectricitй est son agent mйcanique; pas de rencontre а redouter, puisqu’il est seul а naviguer dans les eaux profondes; pas de tempкte а braver, puisqu’il trouve а quelques mиtres au-dessous des eaux l’absolue tranquillitй! Voilа, monsieur. Voilа le navire par excellence! Et s’il est vrai que l’ingйnieur ait plus de confiance dans le bвtiment que le constructeur, et le constructeur plus que le capitaine lui-mкme, comprenez donc avec quel abandon je me fie а mon Nautilus, puisque j’en suis tout а la fois le capitaine, le constructeur et l’ingйnieur! »

 

Le capitaine Nemo parlait avec une йloquence entraоnante. Le feu de son regard, la passion de son geste, le transfiguraient. Oui! il aimait son navire comme un pиre aime son enfant!

 

Mais une question, indiscrиte peut-кtre, se posait naturellement, et je ne pus me retenir de la lui faire.

 

«Vous кtes donc ingйnieur, capitaine Nemo?

 

– Oui, monsieur le professeur, me rйpondit-il, j’ai йtudiй а Londres, а Paris, а New York, du temps que j’йtais un habitant des continents de la terre.

 

– Mais comment avez-vous pu construire, en secret, cet admirable Nautilus?

 

– Chacun de ses morceaux, monsieur Aronnax, m’est arrivй d’un point diffйrent du globe, et sous une destination dйguisйe. Sa quille a йtй forgйe au Creusot, son arbre d’hйlice chez Pen et C°, de Londres, les plaques de tфle de sa coque chez Leard, de Liverpool, son hйlice chez Scott, de Glasgow. Ses rйservoirs ont йtй fabriquйs par Cail et Co, de Paris, sa machine par Krupp, en Prusse, son йperon dans les ateliers de Motala, en Suиde, ses instruments de prйcision chez Hart frиres, de New York, etc., et chacun de ces fournisseurs a reзu mes plans sous des noms divers.

 

– Mais, repris-je, ces morceaux ainsi fabriquйs, il a fallu les monter, les ajuster?

 

– Monsieur le professeur, j’avais йtabli mes ateliers sur un оlot dйsert, en plein Ocйan. Lа, mes ouvriers c’est-а-dire mes braves compagnons que j’ai instruits et formйs, et moi, nous avons achevй notre Nautilus. Puis, l’opйration terminйe, le feu a dйtruit toute trace de notre passage sur cet оlot que j’aurais fait sauter, si je l’avais pu.

 

– Alors il m’est permis de croire que le prix de revient de ce bвtiment est excessif?

 

– Monsieur Aronnax, un navire en fer coыte onze cent vingt-cinq francs par tonneau. Or, le Nautilus en jauge quinze cents. Il revient donc а seize cent quatre-vingt-sept mille francs, soit deux millions y compris son amйnagement, soit quatre ou cinq millions avec les œuvres d’art et les collections qu’il renferme.

 

– Une derniиre question, capitaine Nemo.

 

– Faites, monsieur le professeur.

 

– Vous кtes donc riche?

 

– Riche а l’infini, monsieur, et je pourrais, sans me gкner, payer les dix milliards de dettes de la France! »

 

Je regardai fixement le bizarre personnage qui me parlait ainsi. Abusait-il de ma crйdulitй? L’avenir devait me l’apprendre.

 


Le feu a dйtruit toute trace de notre passage.

XIV

LE FLEUVE-NOIR

 

La portion du globe terrestre occupйe par les eaux est йvaluйe а trois millions huit cent trente-deux milles cinq cent cinquante-huit myriamиtres carrйs, soit plus de trente-huit millions d’hectares. Cette masse liquide comprend deux milliards deux cent cinquante millions de milles cubes, et formerait une sphиre d’un diamиtre de soixante lieues dont le poids serait de trois quintillions de tonneaux. Et, pour comprendre ce nombre, il faut se dire que le quintillion est au milliard ce que le milliard est а l’unitй, c’est-а-dire qu’il y a autant de milliards dans un quintillion que d’unitйs dans un milliard. Or, cette masse liquide, c’est а peu prиs la quantitй d’eau que verseraient tous les fleuves de la terre pendant quarante mille ans.

 

Durant les йpoques gйologiques, а la pйriode du feu succйda la pйriode de l’eau. L’Ocйan fut d’abord universel. Puis, peu а peu, dans les temps siluriens, des sommets de montagnes apparurent, des оles йmergиrent, disparurent sous des dйluges partiels, se montrиrent а nouveau, se soudиrent, formиrent des continents et enfin les terres se fixиrent gйographiquement telles que nous les voyons. Le solide avait conquis sur le liquide trente-sept millions six cent cinquante-sept milles carrйs, soit douze mille neuf cent seize millions d’hectares.

 

La configuration des continents permet de diviser les eaux en cinq grandes parties: l’Ocйan glacial arctique, l’Ocйan glacial antarctique, l’Ocйan indien, l’Ocйan atlantique, l’Ocйan pacifique.

 

L’Ocйan pacifique s’йtend du nord au sud entre les deux cercles polaires, et de l’ouest а l’est entre l’Asie et l’Amйrique sur une йtendue de cent quarante-cinq degrйs en longitude. C’est la plus tranquille des mers; ses courants sont larges et lents, ses marйes mйdiocres, ses pluies abondantes. Tel йtait l’Ocйan que ma destinйe m’appelait d’abord а parcourir dans les plus йtranges conditions.

 

«Monsieur le professeur, me dit le capitaine Nemo, nous allons, si vous le voulez bien, relever exactement notre position, et fixer le point de dйpart de ce voyage. Il est midi moins le quart. Je vais remonter а la surface des eaux. »

 

Le capitaine pressa trois fois un timbre йlectrique. Les pompes commencиrent а chasser l’eau des rйservoirs; l’aiguille du manomиtre marqua par les diffйrentes pressions le mouvement ascensionnel du Nautilus, puis elle s’arrкta.

 

«Nous sommes arrivйs », dit le capitaine.

 

Je me rendis а l’escalier central qui aboutissait а la plate-forme. Je gravis les marches de mйtal, et, par les panneaux ouverts, j’arrivai sur la partie supйrieure du Nautilus.

 

La plate-forme йmergeait de quatre-vingts centimиtres seulement. L’avant et l’arriиre du Nautilus prйsentaient cette disposition fusiforme qui le faisait justement comparer а un long cigare. Je remarquai que ses plaques de tфles, imbriquйes lйgиrement, ressemblaient aux йcailles qui revкtent le corps des grands reptiles terrestres. Je m’expliquai donc trиs-naturellement que, malgrй les meilleures lunettes, ce bateau eыt toujours йtй pris pour un animal marin.

 

Vers le milieu de la plate-forme, le canot, а demi-engagй dans la coque du navire, formait une lйgиre extumescence. En avant et en arriиre s’йlevaient deux cages de hauteur mйdiocre, а parois inclinйes, et en partie fermйes par d’йpais verres lenticulaires: l’une destinйe au timonier qui dirigeait le Nautilus, l’autre oщ brillait le puissant fanal йlectrique qui йclairait sa route.

 

La mer йtait magnifique, le ciel pur. А peine si le long vйhicule ressentait les larges ondulations de l’Ocйan. Une lйgиre brise de l’est ridait la surface des eaux. L’horizon, dйgagй de brumes, se prкtait aux meilleures observations.

 

Nous n’avions rien en vue. Pas un йcueil, pas un оlot. Plus d’ Abraham-Lincoln. L’immensitй dйserte.

 

Le capitaine Nemo, muni de son sextant, prit la hauteur du soleil, qui devait lui donner sa latitude. Il attendit pendant quelques minutes que l’astre vint affleurer le bord de l’horizon. Tandis qu’il observait, pas un de ses muscles ne tressaillait, et l’instrument n’eыt pas йtй plus immobile dans une main de marbre.

 

«Midi, dit-il. Monsieur le professeur, quand vous voudrez?… »

 

Je jetai un dernier regard sur cette mer un peu jaunвtre des atterrages japonais, et je redescendis au grand salon.

 

Lа, le capitaine fit son point et calcula chronomйtriquement sa longitude, qu’il contrфla par de prйcйdentes observations d’angles horaires. Puis il me dit:

 

«Monsieur Aronnax, nous sommes par cent trente-sept degrйs et quinze minutes de longitude а l’ouest…

 

– De quel mйridien? demandai-je vivement, espйrant que la rйponse du capitaine m’indiquerait peut-кtre sa nationalitй.


Le capitaine Nemo prit la hauteur du soleil.

 

– Monsieur, me rйpondit-il, j’ai divers chronomиtres rйglйs sur les mйridiens de Paris, de Greenwich et de Washington. Mais, en votre honneur je me servirai de celui de Paris. »

 

Cette rйponse ne m’apprenait rien. Je m’inclinai, et le commandant reprit:

 

«Trente-sept degrйs et quinze minutes de longitude а l’ouest du mйridien de Paris, et par trente degrйs et sept minutes de latitude nord, c’est-а-dire а trois cents milles environ des cфtes du Japon. C’est aujourd’hui 8 novembre, а midi, que commence notre voyage d’exploration sous les eaux.

 

– Dieu nous garde! rйpondis-je.

 

– Et maintenant, monsieur le professeur, ajouta le capitaine, je vous laisse а vos йtudes. J’ai donnй la route а l’est-nord-est par cinquante mиtres de profondeur. Voici des cartes а grands points, oщ vous pourrez la suivre. Le salon est а votre disposition, et je vous demande la permission de me retirer. »

 

Le capitaine Nemo me salua. Je restai seul, absorbй dans mes pensйes. Toutes se portaient sur ce commandant du Nautilus. Saurais-je jamais а quelle nation appartenait cet homme йtrange qui se vantait de n’appartenir а aucune? Cette haine qu’il avait vouйe а l’humanitй, cette haine qui cherchait peut-кtre des vengeances terribles, qui l’avait provoquйe? Йtait-il un de ces savants mйconnus, un de ces gйnies «auxquels on a fait du chagrin », suivant l’expression de Conseil, un Galilйe moderne, ou bien un de ces hommes de science comme l’Amйricain Maury, dont la carriиre a йtй brisйe par des rйvolutions politiques? Je ne pouvais encore le dire. Moi que le hasard venait de jeter а son bord, moi dont il tenait la vie entre les mains, il m’accueillait froidement, mais hospitaliиrement. Seulement, il n’avait jamais pris la main que je lui tendais. Il ne m’avait jamais tendu la sienne.

 

Une heure entiиre, je demeurai plongй dans ces rйflexions, cherchant а percer ce mystиre si intйressant pour moi. Puis mes regards se fixиrent sur le vaste planisphиre йtalй sur la table, et je plaзai le doigt sur le point mкme oщ se croisaient la longitude et la latitude observйes.

 

La mer a ses fleuves comme les continents. Ce sont des courants spйciaux, reconnaissables а leur tempйrature, а leur couleur, et dont le plus remarquable est connu sous le nom de courant du Gulf Stream. La science a dйterminй, sur le globe, la direction de cinq courants principaux: un dans l’Atlantique nord, un second dans l’Atlantique sud, un troisiиme dans le Pacifique nord, un quatriиme dans le Pacifique sud, et un cinquiиme dans l’Ocйan indien sud. Il est mкme probable qu’un sixiиme courant existait autrefois dans l’Ocйan indien nord, lorsque les mers Caspienne et d’Aral, rйunies aux grands lacs de l’Asie, ne formaient qu’une seule et mкme йtendue d’eau.

 

Or, au point indiquй sur le planisphиre, se dйroulait l’un de ces courants, le Kuro-Scivo des Japonais, le Fleuve-Noir, qui, sorti du golfe du Bengale oщ le chauffent les rayons perpendiculaires du soleil des Tropiques, traverse le dйtroit de Malacca, prolonge la cфte d’Asie, s’arrondit dans le Pacifique nord jusqu’aux оles Alйoutiennes, charriant des troncs de camphriers et autres produits indigиnes, et tranchant par le pur indigo de ses eaux chaudes avec les flots de l’Ocйan. C’est ce courant que le Nautilus allait parcourir. Je le suivais du regard, je le voyais se perdre dans l’immensitй du Pacifique, et je me sentais entraоner avec lui, quand Ned Land et Conseil apparurent а la porte du salon.

 

Mes deux braves compagnons restиrent pйtrifiйs а la vue des merveilles entassйes devant leurs yeux.

 

«Oщ sommes-nous? oщ sommes-nous? s’йcria le Canadien. Au musйum de Quйbec?

 

 

– S’il plaоt а monsieur, rйpliqua Conseil, ce serait plutфt а l’hфtel du Sommerard!

 

– Mes amis, rйpondis-je en leur faisant signe d’entrer, vous n’кtes ni au Canada ni en France, mais bien а bord du Nautilus, et а cinquante mиtres au-dessous du niveau de la mer.

 

– Il faut croire monsieur, puisque monsieur l’affirme, rйpliqua Conseil; mais franchement, ce salon est fait pour йtonner mкme un Flamand comme moi.

 

– Йtonne-toi, mon ami, et regarde, car, pour un classificateur de ta force, il y a de quoi travailler ici. »

 

Je n’avais pas besoin d’encourager Conseil. Le brave garзon, penchй sur les vitrines, murmurait dйjа des mots de la langue des naturalistes: classe des Gastйropodes, famille des Buccinoпdes, genre des Porcelaines, espиces des Cyprœa Madagascariensis, etc.

 

Pendant ce temps, Ned Land, assez peu conchyliologue, m’interrogeait sur mon entrevue avec le capitaine Nemo. Avais-je dйcouvert qui il йtait, d’oщ il venait, oщ il allait, vers quelles profondeurs il nous entraоnait? enfin mille questions auxquelles je n’avais pas le temps de rйpondre.

 

Je lui appris tout ce que je savais, ou plutфt, tout ce que je ne savais pas, et je lui demandai ce qu’il avait entendu ou vu de son cфtй.

 

«Rien vu, rien entendu! rйpondit le Canadien. Je n’ai pas mкme aperзu l’йquipage de ce bateau. Est-ce que, par hasard, il serait йlectrique aussi, lui?

 

– Йlectrique!

 

– Par ma foi! on serait tentй de le croire. Mais vous, monsieur Aronnax, demanda Ned Land, qui avait toujours son idйe, vous ne pouvez me dire combien d’hommes il y a а bord? Dix, vingt, cinquante, cent?



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